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Service public : les dessous de l’image de l’État

Ces expressions discrètes de notre rapport avec le public caractérisent notre identité profonde.

Par Max Guybert Lyron

Depuis que j’avais intégré la fonction publique il y a un peu plus de 10 ans, et de toute mon expérience dans le domaine de la communication, c’est la problématique de l’image qui sera ma préoccupation. L’image de l’État. Cette représentation qui s’est construite dans nos esprits, et qui modèle notre perception de la gouvernance.

Je me suis donc proposé, de manière générale, d’introduire une réflexion – qui pourra ultérieurement faire l’objet de recherche approfondie et dont la question initiale pourrait se formuler ainsi: “Comment l’Haïtien x perçoit réellement l’État comme entité ou dispositif ?”

Pour mieux orienter et cadrer la réflexion, j’ai choisi d’aborder l’angle des représentations coconstruites par les différents processus de communication qu’il entretient, c’est à dire, de l’information publique aux interactions entre l’État et l’ensemble de ses interlocuteurs.

Nous proposons donc, pour ce parcours, de nous intéresser aux expressions visibles de l’État, aussi bien qu’aux signaux intangibles qui s’expriment (ou manquent de s’exprimer) à travers les dimensions signalétiques qui encadrent ces interactions.

Les expressions visibles de l’État

Une communication visuelle incohérente

À ce jour, il demeure très difficile d’identifier l’État avec certitude. Nous faisons référence ici à la notion d’authenticité, puisque seule l’armoirie définit pour l’heure, le caractère « officiel » des communications publiques. Nous constatons l’absence de directives formelles et claires sur son utilisation, les associations permises (ou non), les polices et couleurs autorisées, bref, le système d’identité ou l’image de marque de l’État (à distinguer de la « marque pays »). Jusqu’ici, nous constatons que des institutions publiques de premier niveau (ministères), disposent encore de leur logo propre, une pratique non illégale, mais qui est progressivement délaissée parce qu’elle contraste avec l’idée de l’unicité d’un État cohérent dans ses actions. Nous noterons que cette préoccupation est autant valable pour le gouvernement (Exécutif) que les autres branches de pouvoir.

De l’organisation des communications [publiques] officielles

Cela nous donne de convoquer une réflexion subséquente sur les communications officielles. Quand reconnaitre un communiqué officiel ? Comment est organisée leur codification ? Comment “citer” un communiqué du Gouvernement ? Au niveau exécutif par exemple, il n’existe toujours pas un repositoire où toutes ces communications seraient consignées. Nous pouvons ainsi nous préoccuper de la situation actuelle des archives publiques. À ce niveau, des documents stratégiques comme une charte éditoriale, des politiques de modération de contenu, des normes d’identité visuelle… devraient être envisagées, et encadrés par des dispositifs juridiques relativement aux symboles (notamment l’armoirie) et le caractère strictement officiel de leur utilisation.

L’accueil dans les bureaux publics

Les pratiques d’accueil sont aussi une manifestation de la communication institutionnelle. Dans certains bureaux publics, le protocole est de rigueur. On est dignement accueilli. J’ai été même agréablement surpris de l’accueil reçu dans un tribunal, lorsque j’étais allé déclarer la naissance de mon premier né. Mais dans la grande majorité, en plus d’un accueil problématique, il n’y a aucune signalétique, aucune indication, laissant le citoyen à l’improvisation, ou à la merci d’un raketè à tout faire pour l’orienter (moyennant un kaka aran). Evidemment, cela concerne celles et ceux qui ne un dispose pas d’un « contact ». Ces pratiques sont pourtant contraires aux principes d’équité dans le service, et constituent une porte d’entrée pour la corruption.

Architecture et choix des bâtiments

Venons-en aux manifestations intangibles. Une grande majorité des bureaux publics sont des bâtiments résidentiels, réaménagés. Des maisons modernes, anciennes bâtisses (gingerbread), ancienne école, aux villas en passant par des complexes du type « appartement », les bureaux publics peuvent occupent aujourd’hui tous types d’espaces. Pourtant, le respect que les administrés vouent aux institutions [publiques] passe aussi par la magnanimité, le sentiment de grandeur et de sécurité, entre autres, que nous communique le bâtiment public. Nous comprendrons aisément pourquoi les colonnes (piliers) sont aujourd’hui le symbole par excellence de « gouvernement ». Avec des commissariats dans des conteneurs, des taudis pour en tribunaux (pourtant des temples de justice), il demeure difficile d’inspirer le respect quand l’État lui-même ne semble pas avoir d’égard envers la représentation de ses institutions. Nous notons néanmoins les nouveaux édifices publics (MICT, MCI…) au centre-ville de Port-au-Prince, en laissant aux spécialistes juger de leur conformité.

Transparence et aménagement bureaux

L’aménagement des bureaux publics nous parait encore un élément communicant. Outre les impératifs de confidentialité et de sécurité, une institution dont les bureaux opérationnels sont cloisonnés ne dégagera point l’esprit d’ouverture et de transparence qui doit caractériser la gestion publique. Quelles sont les procédures pour être reçu par un élu ? Est-il encore possible de rencontrer un ministre ou un haut responsable d’une institution publique sur simple rendez-vous ? Le bureau public, autant que son occupant, est-il une forteresse opaque et inaccessible ? Si la majorité des institutions publiques relèvent de la bureaucratie professionnelle, il ne faut jamais perdre de vue que les fonctionnaires, comme les élus sont avant tout des serviteurs. L’inaccessibilité dégagera certainement une perception d’opacité.

État des véhicules de service

Cela nous ramène à une analyse des autres supports de l’image de l’État. Considérons les véhicules de service public, ou ceux affectés aux services généraux des ministères, bien que ceux de la PNH seraient des exemples parfaits, mais avec d’autres considérations pratiques (opérations, gestion…) L’état de délabrement de ces véhicules indiquent notre rapport avec le bien public. Cela concerne autant les usagers directs (chauffeurs), que les administrateurs. Combien existe-t-il de véhicules laissés à l’abandon en raison d’une simple panne ? On entend souvent: “Se byen Leta… byen la komin…” comme pour insinuer que c’est aussi “à nous”, et par conséquent, la gestion négligée serait justifiée. C’est en cela que ces attitudes révèlent qui nous sommes. Pourtant, il faut souligner un contraste flagrant avec les véhicules de “fonction” (des officiels). Il faut comprendre que ces différences apparemment superficielles alimentent des antagonismes profonds qui affectent durablement la construction l’image de l’État.

À l’image de nous-mêmes

Nous aurons pu analyser le comportement des fonctionnaires à l’extérieur, la situation dans les hôpitaux publics, l’état général des universités publiques, la qualité du transport en commun, la lenteur administrative, le temps de traitement des réquisitions, le non-paiement des fournisseurs ou des contractuels, la grille salariale de la fonction publique, les mécanismes de recrutement, l’état de déchéance de certains bureaux, ou encore le contenu du discours des fonctionnaires de nos jours… pour aboutir aux mêmes conclusions.

Des conclusions qui reflètent l’image d’une société à construire. Un regard périphérique sur nos interactions avec le service public dressera ce diagnostic accablant de nos priorités et de nos valeurs. L’idée initiale n’étant pas de fustiger, cette réflexion veut nous invite davantage à la réflexion, à revoir nos manières d’agir, et ambitionne d’interpeller les décideurs en quête du renforcement de l’État, à commencer par le grand ménage.

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